Le clown, suite et fin
Qui ne s’est jamais affalé en ratant une marche d’escalier, ou n’a heurté un réverbère en ne regardant pas devant soi, ou écrasé son nez contre une porte vitrée trop transparente, ou… ? Même lorsque ces incidents sont douloureux, même si nous pensons que nous ne devrions pas en rire, c’est plus fort que nous : nous nous esclaffons et la victime peut parfois s’en offusquer. Le clown traditionnel joue sur cette maladresse qui provoque des malheurs hilarants. S’il n’est pas maladroit, il se fait naïf et sot de façon à devenir victime de quiproquos et de situations qui le ridiculisent. De ce point de vue, Charlot, Laurel et Hardy ou Buster Keaton sont des clowns en civil. Le clown du cirque traditionnel, à la Zavata, commence à se ridiculiser par son aspect : chaussures immenses, couleurs criardes, pantalon trop grand, petit chapeau et surtout nez rouge. D’ailleurs, d’où vient ce nez rouge ? N’évoque-t-il pas l’ivresse ? Et l’ivresse n’est-elle pas précisément génératrice de situations absurdes, comiques, ridicules ? Le clown est un ivrogne qui ne maîtrise plus rien.
Dès lors, si nous n’aimons pas les clowns, si nous trouvons leurs mésaventures insupportables, n’est ce pas parce qu’ils nous renvoient à un ou des aspects de nous mêmes que nous refusons ? Si je n’admets pas que des situations puissent échapper à mon contrôle au point de faire rire de moi, alors il me sera difficile de rire de bon cœur aux situations cocasses des clowneries. Dans ce cas, l’autodérision du clown révèle ma carence en ce domaine et fait réagir mon orgueil. De même, voir dans le clown surtout une victime qui mérite compassion est une façon de s’apitoyer sur soi-même, tel que nous pourrions être si nous ne dirigions pas notre vie avec le sentiment de toute puissance que procurent une raison d’airain et une volonté de bronze. En somme, le clown nous donne des leçons d’humilité dans lesquelles nous pouvons nous reconnaître avec humour ou face auxquelles nous pouvons prendre une orgueilleuse distance.
Illustration : « Nez rouges en La mineur », huile sur toile de Clémence Caruana.